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histoire du design : 1917-1939 les Années Folles

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les Années Folles explosent les Arts Décoratifs

La Grande Guerre a stoppé le développement des arts et métiers dans une partie de l’Europe, sauf dans les pays qui furent à l’écart : les Nederlands, la Russie.
Puis au lendemain du "plus jamais ça", cet entre-deux-guerres des Années Folles voit une explosion créative des Arts Décoratifs dans tous les pays

 
[par Claude Léger-Maisonneuve]

 

 
Jean Chassaing
affiche Joséphine Baker, 1931

en Russie, 1917

  Joséphine Baker
  Kasimir Malevich Composition  

à la suite de la révolution d’octobre, l’avant garde artistique russe se met au service de la nouvelle société. Les artistes sont invités à sortir de leurs ateliers pour participer à l’élaboration d’un nouveau mode de vie

Le Suprématisme propagé par Kasimir Malevitch dès 1913, se limitait à la peinture sous des formes devenues élémentaires et de couleurs limitées ; mais en 1917 le mouvement s’étend à tous les arts plastiques, dans un élan général qui évolue dans le domaine de la vie courante, architecture et arts appliqués, débouchant sur le productivisme.

Kasimir Malevich, 1916
Composition Suprématiste
(coll.particulière) ... clic=zoom

Le Constructivisme russe, né avec son Manifeste publié en 1920, par Gabo et Pevsner, est un "hymne éperdu à la science et la technologie" [Jean-Louis Ferrier]. Mais la répression soviétique commence : l’abstraction est interdite en 1922 ; l’Ecole le Vhutein, dont la vocation est proche de celle du futur Bauhaus, est dissoute en 1927

 

aux Nederlands, 1917

ce pays nostalgique aux immensités plates, berceau du Symbolisme et de la théosophie, s’appuie sur les théories mystiques qui prônent un équilibre basé sur des couleurs et des structures de lignes croisées ainsi que l’égalité entre art et métiers d’art. En 1917 le peintre Piet Mondrian et le peintre et architecte Theo Van Doesburg fondent le mouvement De Stijl, précurseur des principes constructivistes. Il aboutira à une radicalisation de l’ordre géométrique et de strict emploi des couleurs fondamentales, une sorte d’ultime aboutissement de la recherche cubiste.

une page explique ce mouvement fondateur de notre modernité.

 

en Allemagne, 1919

en 1919 le Staatliches Bauhaus (prononcez Baohhhaouze ; littéralement : Maison de la Construction) de Weimar est créé par l’architecte Walter Gropius, après qu’il l’ait fusionné avec l’académie des Beaux Arts du Grand Duché de Saxe. Gropius y reprend les principes déjà défendus par Arts and Crafts en 1870 et De Stijl en 1917 :
> pas de distinction entre "art libre" et "art appliqué",
> le design est un moyen d’expérimentation pour créer un environnement plus humain,
> orientations esthétiques précises pour la production d’objets utilitaires.

  Walter Gropius  

Le Bauhaus qu’il dirige, puis confié à Henry Van de Velde, devient une école de design dont l’influence s’étendra à toute l’Europe : ses idées seront reprises et adaptées par l’Ecole d’Ulm dans les années 1950, ainsi qu’aux USA. Pour concrétiser cette synthèse de l’art monumental et l’art décoratif, la base de l’enseignement est l’atelier, où les professeurs sont des maîtres-artisans et les étudiants des apprentis, avec également des cours théoriques en sculpture, tissage, imprimerie, travail du bois, métal, verre et… théâtre !

Walter Gropius, sa maison à Lincoln MA, 1938
(Common Lic) ... clic=zoom

Toute l’avant garde artistique de renom se précipite : Vassily Kandinsky, Marcel Breuer, Paul Klee, Laszlo Moholy-Nagy… ; Klee et Kandinsky, professeurs précurseurs, donnent un style sobre et unique aux créations, eux-mêmes influencés par le constructivisme russe. Le suisse Johannes Itten, dont la théorie des couleurs a marqué, est avec Gropius l’un des maîtres les plus influents du Bauhaus ; mais il le quitte en 1922 ne voulant pas assumer le virage de l’école "d’art et l’artisanat" au nouveau credo "art et technique" tourné vers l’industrie… un vieux débat allemand des années 1900 qui ressurgit ! Cest Josef Albers qui prépare les élèves à cette transition et quand arrive Moholy-Nagy, l’atelier d’orfèvrerie artisanale se prête à la conception de produits industriels en métaux.

  Marcel Breuer stair Chaise  

L’opposition conservatrice accuse l’encarté communiste Gropius de bolchevisme et ferme le Bauhaus, qui déménage de Weimar à Dessau en 1924-25. Gropius développe alors à grande échelle ses idées d’un "habitat nouveau" ; tous les ateliers sont mis à contribution : la menuiserie dirigée par Marcel Breuer réalise les meubles, l’atelier métal s’occupe de l’éclairage, l’atelier peinture de décoration et l’imprimerie de signalisation, puis un atelier d’architecture est crée en 1927 et confié au suisse Hannes Meyer ! Toutes les autres sections prennent le nom de "décoration intérieure" et sont subordonnées à l’architecture, pendant que Klee et Kandinsky créent, tout de même, une section libre de création plastique et picturale.

Marcel Breuer, Chaise B3 dite Wassily, 1925
(CommonLic) ... clic=zoom

 

En 1928 Gropius démissionne et se recentre sur la seule architecture, entraîne celle de Moholy-Nagy, Marcel Breuer et Herbert Bayer. Avec la direction confiée à Hannes Meyer, puis Ludwig Mies Van der Rohe, le Bauhaus voir l’architecture prendre le pas sur les autres disciplines. Meyer agit en manager : il réforme l’enseignement et l’organisation, se tourne vers la rentabilité et l’adaptation aux besoins, augmente à 200 le nombre d’élèves, soutenu par des étudiants communistes … Cela ne plait pas et il doit céder sa place à Mies van der Rohe qui accentue, encore, le poids de l’architecture.

 

Mies Van der Rohe : Maquette dun gratte-ciel en verre
1922 (CommonLic) ... clic=zoom
  Mies Van der Rohe  

Et c’est la fin : 1929 ramène tout le monde à la réalité de crise boursière, en 1933 le nazisme sonne la fin du Bauhaus, en 1939 l’architecte Albert Speer présente au Führer les plans du nouveau Grand Berlin...

 

la rage du débat en France, 1925

c’est à Paris que les Années Folles trouvent leur apogée, lors de l’immense exposition Art Décoratif et industries modernes de Paris en 1925. Le rapprochement art et métiers voit des oppositions : "je voudrais savoir qui a accolé ces deux mots : arts et décoratif, c’est une monstruosité" s’ésclame l’architecte Auguste Perret ! "L’art décoratif c’est de l’outillage" précise encore Le Corbusier, qui pense que "construire est un acte biologique, pas un processus esthétique" [J-L Ferrier], d’où ses pavillons dépourvus de tout ornement et meubles partiellement intégrés.

 

Et le vieux débat antagoniste reprend : considéré comme historiciste*, l’Art Décoratif est combattu par les tenants de l’art pur, qui se groupent en 1929 dans l’Union des Artistes Modernes, sous l’égide de Robert Mallet-Stevens. Le premier Salon de l’UAM se tient en 1929 à Paris en même temps que le Salon des Artistes Décorateurs, qui voit une forte représentation du Bauhaus.

* : tendance en architecture à s’inspirer d’une époque passée

  Robert Mallet-Stevens
Robert Mallet-Stevens :
maison de Poiret en forme
de paquebot, 1923
(CommonLic. Philippe DeChabot)
clic=zoom

 

  Jacques-Emile Ruhlmann
Jacques-Emile Ruhlmann :
petite table, 1934
(Coll.Particulière... clic=zoom
 

Pourtant à partir des années 20 une convergence s’est opérée vers un "style international" (terme introduit en 1932) basé sur des principes analytiques et des considérations rationnelles, qu’ont adoptés par exemple l’architecte Adolf Loos, les concepteurs de meubles Gerrit Thomas Rietveld, Charlotte Perriand, l’architecte designer Pieter Oud, les peintres Robert et Sonia Delaunay (également stylistes) ; principes qui touchent le luxe par les designers (ce terme n’existant pas encore) André Groult, Jacques-Emile Ruhlmann, Paul Iribe, René Lalique et les peintres Marie Laurencin ou Albert Gleizes, alors que Raoul Dufy se fait aussi décorateur…

  Raoul Dufy
Raoul Dufy : gouache pour un rojet de tissu, 1925
(collparticulière)

 

  Charlotte Perriand et Le Corbusier stair chaise
Charlotte Perriand et Le Corbusier : chaise-longue LC4, 1928 CommonLic) ... clic=zoom

voir aussi :
 - la villa Savoye de Le Corbusier
 - la rétrospective Charlotte Perriand
 
à la Fondation Vuitton

Si déjà en 1918 Le Corbusier et le peintre Amédée Ozenfant avaient publié Après le Cubisme, un manifeste du Purisme, c’est en 1923 que Le Corbusier publie le brûlot Vers une Architecture et concrétise en dessinant la maison d’Ozenfant à Paris (le toit d’origine était en dents de scie)

 

Le Corbusier et Ozenfant, maison d’Ozenfant 53 av.Reille Paris, 1923
(CommonLic) ... clic=zoom
  Le Corbusier et Ozenfant house maison

 

La fameuse revue Esprit Nouveau est créee en 1925, qui réunit une phalange impressionnante et internationale de créateurs (clic sur l’image >>).

Car le style international, ou mouvement moderne, est selon eux seul capable de répondre aux aspirations de la civilisation industrielle par une forme de pensée rationaliste. Il est incarné par Le Corbusier (Charles-Edouard Jeanneret) qui va créer les Congrès Internationaux d’Architecture Moderne, pendant que Jean Prouvé (pourtant membre de l’UAM !) se soucie de savoir si une maison peut se fabriquer comme une automobile.

 

une page montre le Musée des Années 30 à Paris.

  revue Esprit Nouveau

 

la contagion internationale

dans d’autres pays aussi les profondes transformations des sociétés industrialisées bouleversent les conceptions de l’aménagement intérieur. Tout concepteur dans le domaine des arts décoratifs ou celui de l’artisanat d’art se préoccupe des fonctionnalités de l’objet à usage courant comme des questions techniques de sa production. C’est là que se développe le champ d’activité du designer : l’Art Déco est né. Simplification, pureté des lignes, formes cubistes et géométriques sont les caractéristiques de cet art décoratif qui se répand, par exemple en Italie où il a engendré le Futurisme (Filippo Marinetti, Carlo Carra, Gino Severini…)

  Alvar Aalto  

Aucun pays n’échappera au mouvement moderne mais les spécificités se retrouvent dans leurs créations, telle la Finlande avec l’architecte et designer Alvar Aalto ; attiré par le courant rationaliste il conçoit dès 1930 des habitations d’inspiration organiques et crée pour les habiter "les accessoires de l’architecture" : des mobiliers en lamellé collé de bois d’une ligne fine et épurée.

 

 

Alvar Aalto : fauteuil 41 Paimo, 1933
(CommonLic) ... clic=zoom

Tous ces pays se rencontrent à l’ Exposition Internationale des Arts & Techniques à Paris en 1937, une débauche grandiose dans un climat malsain où les arts et métiers sont devenus des moyens de propagande, avant-scène d’événements dramatiques.

 

l’Amérique mécanique

le courant Art Déco est aussi présent aux USA surtout dans le domaine de l’architecture avec le Chrysler Building de William Van Alen en 1930 puis l’Empire State de William Lamb en 1931 ainsi que les constructions intégrées dans la nature de Frank Lloyd Wright , qui fonde en 1932 une école d’architecture et philosophie, la Taliesin Fellowship.

  Charles Demuth  

Dans l’ameublement Paul Frankl se rend célèbre par sa série "gratte ciels", des meubles combinés rangement-bibliothèque. Des peintres s’inscrivent dans un esprit moderniste comme Charles Demuth qui glorifie les paysages industriels dans le style précisionnisme ou Stuart Davis, Charles Sheeler, Georgia O’Keeffe

 

<< Charles Demuth : My egypt, huile, 1927
(courtoisie Whitney Mus) ... clic=zoom
Frank Lloyd Wright : maison Fallingwater
1935 CommonLic Sxenko) ... clic=zoom >>
  Frank Lloyd Wright maison Fallingwater house

Ce qui a surtout marqué les USA c’est le krach boursier de 1929, avec en consolation 10 jours après… l’ouverture du MOMA à New-York dans un seul étage d’un immeuble (suivi du Whitney en 1931) !

Mais au sortir de cette crise les USA voient un gigantesque essor de l’industrie ; les découvertes et leur multitude de brevets vont inonder le marché d’objets générateurs de nouveaux usages, purs produits de la science appliquée, mais sans rapport avec les tourments européens des arts et métiers.

C’est alors que Raymond Loewy constate que les produits de bon aspect ont mieux résisté à la crise que les autres, emportés dans la tourmente : "La laideur se vend mal" écrit-il, ce qui entraîne un profond changement de comportement : les industriels s’adressent à des plasticiens et des architectes pour améliorer les formes, des agences d’esthétique industrielle se créent.

Les progrès en matière de vitesse, de technologies comme les procédés d’emboutissage de la tôle, de moulage des alliages d’aluminium, etc, les recherches sur l’ergonomie, font entrer jusque dans les cuisines les superbes formes aérodynamiques de la ligne Streamline (image) : voitures, avions, bateaux, même les locomotives de la Pennsylvania Railroad Company "relookées" font de par Raymond Loewy le vrai premier grand designer industriel.

  Raymond Loewy bus Stream Line
Raymond Loewy : dessin d’un bus Stream Line (CommonLic) ... clic=zoom

 

quels seront alors les retombées ? La guerre mondiale fera éclore de nombreuses autres technologies qui seront à leur tour utilisées dans l’industrie rendue à un usage pacifique dès 1945.
Même les idées du Bauhaus seront reprises et adaptées en 1950 avec l’ouverture de l’école de création Ulm, dont la coopération avec les usines Braun marquera durablement l’évolution du design de l’après seconde guerre mondiale. Ce sera notre chapitre suivant.

 

 

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> les Années Folles
> Raymond Guidot : Histoire du design 1940-1990
> Jean-Louis Ferrier : l’Aventure de l’Art au XXe siècle
> Anne Bonny : les Années 30, les Années 40

 

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