l’art et les oeuvres multiplesbien des amateurs d’art se posent la question : les multiples sont-ils vraiment dans le domaine de l’art (sinon de la décoration) ? sous quelles conditions ?
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facile : un clic sur internet, un bouton sur votre mobile et l’image est capturée, mais celle qui s’affiche sur l’écran est juste valable pour la famille ; or vous, amateur d’art, vous voulez une image impeccable, de bonne dimension, mise en valeur, acccrochable, ceci même pour une oeuvre multiple ; alors vient une suite d’opérations de transformation, puis de transfert de l’image sur un support adéquat, suivi de sa duplication, ensemble d’opérations qu’on résume par "tirage".
Se pose alors la question commerciale : combien d’exemplaires ?
Normalement en art, le tirage est contrôlé par l’artiste (nombre, dimensions, support...) et réalisé par un atelier par exemple de print ou de lithographie ou par un laboratoire photo ; car le tirage demande des compétences, des matériaux spécifiques (supports papier ou d’alu, fontes…), du matériel souvent onéreux (imprimantes à jet de pigments ou 3D, moules, etc)
En photo et vidéo le numérique pose le problème de la
parfaite reproductibilité des fichiers, donc des oeuvres : comment lever le doute sur son statut d’oeuvre d’art limitée puisqu’ils n’y a aucune limite physique de reproduction ? pire : un tirage parfait peut être post-réalisé par un ayant-droit peu scrupuleux ou par un pirate, n’importe où sur la planète
> achat-ventes de particulier à particulier
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outre le numéro d’exemplaire, l’oeuvre multiple doit évidemment être signée de l’artiste, souvent à côté du numéro. Pour les pièces tirées postérieurement au décès de l’artiste, sa signature est remplacée par le cachet de l’atelier de réalisation ou par une gravure ou moulure du logo de l’atelier ; évidemment la valeur de l’oeuvre est plus faible mais c’est un témoin valable d’authenticité.
c’est courant pour les sculptures mais possible pour toute oeuvre pour laquelle le "master" a été conservé (moule, fichier...) ; le tirage doit être autorisé par l’artiste (par un document antérieur évidemment) et rester "original" au sens légal ; cette autorisation doit être donnée aux ayants-droit et/ou à un atelier
La réunion de ces différent éléments (signature ou logo, numéro, certificat) fait preuve d’authenticité et permet la traçabilité des différents tirages d’une oeuvre originale ; c’est très rassurant pour le collectionneur.
...s’accommodent bien de la loi : Auguste Rodin ayant fait donation à l’État français de l’ensemble de son oeuvre et des droits de propriété artistique, le Musée joue à fond l’édition d’originaux en s’appuyant sur son statut d’autonomie juridique et financière obtenu à la demande de l’artiste en 1916 (il est mort en 1917), et sur son autorisation de diffuser ses oeuvres au-delà de sa mort ; et d’une manière générale la loi concède aux ayants-droit la possibilité d’éditer des oeuvres non encore divulgiées ; |
le droit distingue les oeuvres originales (voir la définition) et celles qui ne le sont pas sous plusieurs critères dont l’un est le tirage ; ceci conditionne notamment la TVA qui s’y applique, ce qui est expliqué ici ; il y a donc des limites juridiques européennes de tirage d’originaux d’oeuvres multiples :
technique ou médium | remarques | |
peinture, dessin, aquarelle, céramique peinte, laque... | (ceci pour mémo) | |
sculpture brute en taille directe | (ceci pour mémo) | |
estampe de toutes techniques | EA = épreuve d’artiste | |
sculpture en moule, fonte, moulage... |
métaux, plastique... | |
photo argentique sur support original, photo numérique non plasticienne | le négatif ne compte pas ; retirages inclus | |
(30) |
"print" informatique d’une photo numérique artistique (légalement peut atteindre aussi 30) |
coffret signé + certificat |
vidéo, création numérique artistique | coffret signé + certificat | |
(8 + 4 EA) |
design (design artistique) |
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une oeuvre notée EA (épreuve d’artiste) est normalement limitée à 4 ; mais rare est l’artiste qui indique le tirage d’une EA ; ainsi il peut en "produire" autant qu’il veut…
malheureusement bien des artistes et beaucoup d’amateurs ignorent ces limites ; même certains professionnels jouent sur le mot "original", ceci entraînant un flou artistique que le juriste et le collectionneur avisé n’approuvent pas :
> en estampe : il y a confusion entretenue sur le terme juridique "original" et son utilisation par les professionnels ; la Chambre Syndicale de l’Estampe se concentre sur la façon dont est conçue l’oeuvre (voir sa Charte), point primordial ; mais elle s’accomode d’une définition qui ne limite pas le nombre d’épreuves ! il est inconcevable de mettre au même niveau d’originalité une épreuve venant d’un tirage inférieur ou supérieur à 8+4 (20, 50, pourquoi pas 100 ou 500...) ; la Chambre rappelle bien quels sont les risques et les mauvaises pratiques, mais c’est insuffisant
> en photo c’est la confusion : non seulement le nombre légal de tirage originaux est élevé (30), non seulement certains marchands déclinent dans des formats différents un même cliché, mais en plus la confusion provient des techniques utilisées (voir aussi ici) ; ceci pour des raisons historiques : avant que la photo ne vienne sur le marché de l’art, elle était utilisée comme moyen scientifique, de reportage, de recensement ; lorsque certaines d’entre elles ont été reconnues comme oeuvre d’art, il n’y a pas eu révision des règles juridiques et déontologiques ; heureusement bien des artistes photographes restreigent eux-mêmes leurs tirages
> en sculpture, la déontologie des Fonderies d’art de 1993, établie en accord avec les sculpteurs, est claire et rigoureuse : "sous l’appellation d’original, toute oeuvre en alliage métallique fondu ne peut être réalisée qu’en maximum 12 exemplaires, même si la composition ou la couleur de l’alliage utilisé ne sont pas les mêmes pour chacune des 12 pièces ; parmi ces originaux, 4 appelés Epreuves d’Artistes doivent être numérotés EA I/IV... en chiffres romains, les 8 autres numérotés 1/8, 2/8.... en chiffres arabes ; les fondeurs s’interdisent tout autre marquage comme O, HC, etc. ; le choix du nombre (1 à 12) doit alors être déterminé de façon irrévocable par l’artiste et avant la première fonte".
On est loin des moeurs discutables en photo... pas étonnant que la sculpture soit au plus haut sur le marché de l’art !
> en design il n’y a pas de règle spécifique ; si le designer se veut artiste, il s’approche naturellement des principes en sculpture ; en fait il a toute liberté : pas de numérotation ou numérotation libre pour les pièces limitées ; on distingue sutout les pièces originales des retirages qu’on appelle des rééditions
Amaranth Ehrenhalt, Nuit-A, gravure 1/1, 2007 |
un auteur n’est pas obligé de tirer plusieurs exemplaires : > la motivation de Amaranth Ehrenhalt, peintre abstrait, n’était pas de produire de multiples exemplaires, mais d’utiliser la gravure pour obtenir un résultat particulier par ce mélange de collages (des tissus incrustés), de fines tresses faites au burin dansant sur un fond de couleurs ; cette oeuvre vaut le prix d’un petit tableau
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parfois une oeuvre multiple voit chaque exemplaire individualisé par une intervention spécifique de l’artiste ; l’intention est soit d’en faire une oeuvre unique mais qui basée sur un médium reproductible pour une raison artistique (une photo, une sérigraphie...), comme le fait toujours Tony Soulié par exemple) et alors c’est une oeuvre unique, soit d’en augmenter un peu la valeur (artistique et le prix), > c’est le cas de ce petit JonOne qui a appliqué ces traces colorées sur chacune des 50 pièces tirées Dans ce cas nous nommons ces oeuvres des "pièces singulières dans une série", qui doivent être numérotées comme des multiples (ce qu’à fait JonOne) JonOne, série Fireworks, 2015, 30x40, 50ex
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la manière dont l’artiste aborde la question du tirage, son éthique, conditionnent la valeur de son oeuvre multiple. Pour illustrer, prenons ces deux monstres de l’art, tout aussi productifs mais qui se sont commercialement comportés de manière diamétralement opposée : |
retirage en 2004 et 1500 ex. du célèbre livre d’artiste Jazz de Matisse, produit par Anthese, réalisé par Idem qui a repris les anciens ateliers de Mourlot et qui a fait une étude approfondie pour retrouver les couleurs de l’original ; ce livre a une valeur liée à la célèbrité de l’original et à la qualité exceptionnellel du résultat |
pour d’excellentes ou mauvaises raisons, à vous de juger :
> être rentable ; l’artiste doit bien vivre de sa production, plus il multiplie les tirages à partir d’une même source, plus il augmente sa rentabilité, du moins le pense-t-il (or c’est souvent faux)
> augmenter son audience ; diffuser son art à d’autres couches sociales ou atteindre de jeunes amateurs ; une tactique de développement souvent pratiquée par de jeunes auteurs ; mais dès qu’ils sont mieux connus, ils restreignent leurs tirages
> participer à une action sociale ou caritative (aider une ONG en lui reversant les
gains)
> participer à une oeuvre collaborative sans avoir le souci de limiter et surveiller les reproductions
> expérimenter différents médias ou techniques et y donner le meilleur de son art ; cela se remarque par des oeuvres très étudiées, particulières, où le style de l’artiste évolue. Les multiples issus de cette démarche peuvent avoir une grande valeur ; par exemple Soulage a eu une très faible production de lithographies, mais ce sont des oeuvres créées pour ce medium ; la Grande Bibliothèque de France les a rassemblées en une exceptionnelle exposition en 2004
> Pablo Picasso a produit des lithographies de qualité exceptionnelle en collaboration étroite avec l’éditeur Fernand Mourlot, en 50 épreuves numérotées, signées et annotées par l’éditeur ; l’artiste y a accordé une grande attention, exigeant une dizaines d’épreuves avant le résultat final ; que de telles pièces aient été estimées de 10 à 30’000 € dans une vente en 2003 est normal ; Matisse a eu la même démarche avec son livre "Jazz", très coté
il y a des cas spécifiques :> par exemple Roman Cislevictz (1930-1996) est un célèbre graphiste et illustrateur qui s’exprima essentiellement par la lithographie et l’affiche, par métier et par vocation : "mon rêve, c’était de faire des images publiques, pour que le plus grand nombre de gens puisse les voir ; pour moi, c’était l’affiche -l’image publique- qui était le plus important" [Wieslawa Wierzchowska, Auto-portraits, Éd. Interster Varsovie] ; ses tirages sont donc assez élevés mais justifiés par sa volonté et son domaine de l’illustration > voir sa rétrospective aux Arts Décos en 2018 |
ses oeuvres d’un style dépouillé et fort, réalisées sans informatique, sont maintenant recherchées, mais restent aussi d’un prix abordable
Roman Cislevictz, Empreinte, 1973, lithographie, 46x59, 100 exemplaires |
> un cas spécial : Shepard Fairey (nom de street artist Obey) tire depuis des années des sérigraphies en très grand nombre, non numérotées, non signées puisque destinées à être collées dans les rues ; son style particulier l’a rendu célèbre de sorte qu’il en produit pour les galeries en série assez élevées (250-450 exemplaires) mais signées Fairey (et non Obey) et sur un support correct ; > celle-ci, célébrisime, a été produite en de nombreuses versions et différents slogans (Vote, Hope, etc) ce qui ne l’empêche pas d’être cotée autour de 500€ si elle est signée ! mais l’affiche se trouve dès 10€ sur le net
Shepard Fairey, Obama original 3, |
> Salvador Dali, d’un geste provocateur délibéré mais pas dénué d’intérêt, a carrément signé des dizaines (au moins) de feuilles blanches avant que son éditeur ne les passe sous presse, donc sans réel contrôle de l’artiste ; l’éditeur avance l’impossibilité de retenir le maître sur place pour les signer après contrôle ; qu’importe, le mal est fait et la rumeur de faux courre encore... Alors acheter des lithos de Dali même signées devient imprudent ; d’autant qu’elles sont trop nombreuses, trop chères et entâchées d’un risque de faux...
> la photographie voit des abus commerciaux, notamment faire passer comme oeuvres d’art des tirages en plusieurs formats différents d’un même cliché pour en augmenter le tirage et les ventes
- si l’artiste est décédé et s’il n’a pas donné explicitement le droit de retirer post-mortem aux ayants-droit, la copie est dite copie tardive
- si la copie n’est pas faite depuis le master original, l’affaire est claire : c’est une "reproduction" de peu de valeur
- si en plus l’artiste ou ses ayant-droits n’ont pas donné leur aval, c’est un faux
- voir aussi le glossaire
cette Nana gonflable inspirée de celles de Nikki de Saint-Phalle est plutôt gonflée !
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> des abus peuvent provenir de l’artiste même ou de proches : > les éditions d’origines sont légitimes, car elles partent de moules d’origine AVEC l’autorisation de l’artiste (ou d’une cession de ses droit) ; c’est le cas d’ateliers ayant travaillé pour lui et dont l’estampille a été agrée par lui ou ses ayant-droits ; elles doivent être estampillées ou recevoir un poinçon qu’il vous faut savoir reconnaître, et comporter la marque du tirage ; elles ne sont évidemment pas signées ; c’est le cas pour les céramiques de Picasso, les bijoux de Braque, les lampes Daume, les tirages de Rodin..., ces copies légitimes sont des oeuvres originales si elles sont correctement limitées |
> il n’y a pas de "retirage original", même en photo ; il peut y avoir un "retirage posthume original" : pour un bronze il sera fait à partir du plâtre original (et non pas d’un autre bronze), AVEC l’accord de l’artiste ou de ses descendants, toujours dans la limite de 8 + 4 exemplaires sinon ce sont des reproductions
> les bénéficiaires peuvent légitimement exploiter une marque déposée par l’artiste ; exemple : le fameux bleu d’Yves Klein, qu’on retrouve dans des objets dérivées postérieurs à l’artiste (par exemple sous forme de tables en plastique contenant les pigments) qui, évidemment, ne doivent pas être confondues même de loin avec ses oeuvres d’art
> veillez à cette astuce pour monter le prix : le tirage spécial limité d’une oeuvre multiple à fort tirage, mais placée dans un écrin spécifique ; le procédé est habituel en littérature mais il ne vise pas à multiplier des originaux (la notion n’existe pas) ; cela peut faire plaisir mais n’offrez pas cela comme une oeuvre d’art...
En définitive, ces considérations ne doivent pas plomber votre envie d’art, qui doit rester dans le monde du rêve !
cette "Femme surréaliste à l’oiseau" de Alain Virmaux est dans la tradition surréaliste influencée par l’art brut et l’art africain une belle pièce abordable |
cette aquarelle post-surréaliste de Janine Zimbler est typique ; une oeuvre délicate d’une artiste inspirée, dont une oeuvre a été achetée par le Centre Pompidou |
le Réalisme fantastique est une expression plus récente du surréalisme
ce Chat Bleu de Raimondo Cardelli (1938-2008) exprime que le rêve serait aussi réel que le quotidien |
tableau en vente chez les Atamanes
achetez art, design, décoration |
(Almanart est annonceur, pas place de marché)
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