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la couleur jaune

 

le jaune

 

Van-Gogh est un peintre emblématique de la couleur jaune, qui l’a fasciné :
depuis sa chambre à l’hôpital de St-Rémy-de-Provence il découvre, s’exténuant, "un petit faucheur sous le grand soleil" irradiant de juin 1889, qui lui permet d’exprimer (ci-contre) "cette diable question de jaune" ; il fera la même année deux répliques de ce même motif, ne changeant sauf détails que les couleurs des mois de juillet puis de septembre, plus un dessin pour son frère Théo, et enfin en octobre un dernier tableau un peu différent ; cela forme une suite de 4 huiles qui sont autant d’études des variations de jaunes ["Vincent Van-Gogh, Van Uitert, Van Tilborgh, Van Heugten, 1990 -édition du centenaire de la mort de Vincent- Ed.Albin Michel p.220-225]. "Un soleil est une lumière que faute de mieux je ne peux appeler que jaune, jaune soufre pâle, citron pâle, or... c’est si beau le jaune !" [lettre à Théo]

Van-Gogh Le Faucheur

Van-Gogh, Le Faucheur, 1889, Otterlo Rijksmuseum
courtoisie Otterlo Mus.)
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Etude réalisée par Claude Léger

la couleur jaune en art, le jaune ; tableau jaune, origine de la couleur jaune

 

 

le jaune, une histoire peu claire

 

dans cette gravure très fine, Amaranth Ehrenhalt exprime sa joie par une série de jaunes
(courtoisie ARE) clic=zoom
 

en 2009 le jaune est à la mode, c’est Elle qui le dit : ça doit être vrai ! En fait, il est réhabilité, souvent rejeté puis remis au goût du jour, longue lutte entre amour et désamour : pourquoi ? On n’en sait pas, c’est un constat que vous pouvez vérifier : faites le test des couleurs préférées autour de vous, le jaune ne sort jamais ! Mal aimé en Occident mais au contraire valorisé en Asie, voire associé au pouvoir et la richesse. Evidemment puisque c’est la couleur de l’or, du soleil, du blé, mais aussi la couleur du citron et du soufre, alors... attraction-répulsion ?

 

Rappelons que c’est une couleur fondamentale : l’une des 3 primaires avec le rouge et le bleu, dégradées au blanc ou rabattues au noir ; ces couleurs sont pures, aucun mélange ne peut les obtenir ; à elles cinq elles constituent la totalité des combinaisons possibles de couleurs connues. Le jaune mélangé au rouge donne une gamme infinie de tons chauds et lumineux, il pâlit discrètement mélangé au blanc et devient moutarde mélangé au noir, ce qui n’est pas très chatoyant il faut en convenir ! Alors, que l’on aime ou pas, le jaune est indispensable.

 

L’origine du mot "jaune" est le latin galbinus dont le radical "gal" désigne un groupe indo-européen qui lui-même traduit le grec "khloros" (chlore) et a supplanté les désignations du jaune en latin : flavus pour le jaune clair et fulvus pour le jaune foncé, tous deux aussi brillants l’un que l’autre.

 

 

 

les nuances de jaunes :

 
jaune de naples    
jaune clair    
jaune vif    
or    
gomme gutte    
safran    
stil de grain    
gaude    
ocre    
voici une mini guide autour du "jaune or" :


Attention :
> cette palette vous donne une idée approximative d’une teinte selon son vocabulaire ; elle n’est pas assez précise pour montrer les nuances de jaune qui sont très subtiles
> pour plus de précision se reporter sur ce nuancier de l’Association D’or et de Pigments

 

 

 

le jaune irradie les artistes


 > depuis les anciens aux scientifiques :

dans les fresques grecques et romaines où les ocres utilisés sont magnifiques, le jaune s’estompe (malheureusement dans tous les sens du terme).

Dans la peinture des 16è et 17è siècle l’utilisation du superbe pigment "jaune de Naples" le remet au goût du jour par des artistes Hollandais car les peintres recherchaient un jaune vif stable à la lumière.

Tout change au milieu du 19è siècle quand les artistes découvrent l’importance de la lumière dans la perception des couleurs ; le traité des couleurs de Goethe (1810) a révélé le face à face de la couleur en même temps que se développent les études scientifiques des couleurs primaires et secondaires.

Emile Nolde a ici utilisé le jaune associé au vert pâle
pour rendre blafards les visages de ce panneau central ;
La Vie du Christ, 1911, Nolde Stiftung Seebüll de Neukirchen
(courtoisie NSS) .... clic=zoom
 Emile Nolde

> chez les romantiques :

les peintres romantiques découvrent cet éblouissement (Turner, Caspar Friedrich) puis les impressionnistes, les expressionnistes, les fauves, traduiront la disparition de l’exactitude des formes au profit des rendus optiques des couleurs. Pourquoi ? Car la peinture prend la clé des champs avec l’apparition des tubes : l’extérieur peut se peindre à la lumière naturelle, qui comme chacun sait, est dominée par le jaune… cependant qu’apparaît la fée électricité qui diffuse une lumière jaune du plus bel effet.

 

cette huile tardive (1930) de Malevitch est influencée
par sa longue période abstraite ; contraint au retour
à la figuration par le despotisme soviet, il en a conservé
la fraicheur de ses couleurs
(courtoisie M.Nat.Russe St-Petersburg) .... clic=zoom
 Malevitch

> des modernes aux contemporains :

Van Gogh notamment donnera au jaune ses lettres de noblesse : dans sa correspondance avec son frère Théo il citera la "haute note jaune" à laquelle fera référence.

Plus proche de nous, Claude Viallat fit l’automne 2007 une très belle exposition d’un ensemble de 60 oeuvres faisant toutes référence au travail de Van Gogh en confrontant les enjeux picturaux non pas du jaune mais des jaunes, couleur qui est pour lui "une envie, un besoin irrépressible d’affirmer son intensité et sa luminosité".

 

 

Jacques Brenner n’a pas cherché à rendre réaliste
cette scène bretonne, mais l’illumine par l’emploi de
couleurs vives et de jaunes qui lui apportent la vie 
(courtoisie GMA) ... clic=zoom
 Jacques Brenner

 

  Sun7  
ensemble présenté chez Vuitton en 2009
par le graffeur Sun7

le détail montre que le motif est entièrement
composé de lettrages jaunes
(courtoisie Sun7) ... clic=zoom
  Sun 7  

 

 

une symbolique contradictoire

Vénéré en Chine et longtemps réservé à l’Empereur, le jaune garde une place importante en Asie où il symbolise la richesse, le pouvoir ou la sagesse. Chez les Grecs et les Romains il est aussi très apprécié et joue un rôle social et religieux important. Puis au Moyen Age en Occident, c’est tout le contraire.

Norman Oak

 

Alors qu’il devrait évoquer le soleil, la lumière et la chaleur et par extension la vie, l’énergie, la puissance, le jaune véhicule au contraire des symboles négatifs. Michel Pastoureau relève que "l’or semble avoir absorbé tous les symboles positifs du jaune, qui a été dépossédé de sa part positive pour devenir une couleur éteinte, mate, triste… pis il est devenu symbole de trahison, tromperie, mensonge ». De plus le nom même de jaune donne lieu à nombre de déclinaisons toutes plus péjoratives les unes que les autres : jaunasse, jaunâtre, jaunissant, jaunissure, jaunissement… seul Jaunet échappe à la malédiction pour désigner de ravissantes petites fleurs jaunes.
Ce qui n’empêche pas les dignitaires et quelques autres prétentieux de se parer d’or...

Norman Oak a ainsi peint l’ex king Michael Jackson en 1995...
(courtoisie N.Oak) .... clic=zoom

 
> symbole d’infamie et d’exclusion
 :

dans la culture médiévale les textes rapportent que le jaune est la couleur des traîtres : on peint de jaune la maison d’un faux-monnayeur et on le vêt de jaune pour aller au bûcher. Dans nombre de scènes religieuses le Judas est habillé de jaune, stigmatisé par la trahison. Il en va de même dans les romans : les traîtres sont décrits habillés de jaune, et le jaune devient la couleur des menteurs, tricheurs. Il finira par devenir la couleur de l’exclusion, transmise aux juifs par Judas dès le 13è siècle avec un signe distinctif (rouelle ou table de la loi ou étoile d’orient) dans la gamme des jaunes-rouges ; les nazis ne feront que reprendre les symboles médiévaux.

Gelitin

 

Les briseurs de grèves, syndicats crées en 1899 pour collaborer avec les patrons sont réputés trahir leurs collègues ouvriers et encore appelés "les jaunes" en souvenir de leur emblème : un brin de genêt et un gland jaune. Quant au passeport jaune, c’était celui réservé aux ancien forçats (1859) parce qu’imprimé sur papier jaune.
L’emploi péjoratif de jaune comme adjectif se perpétue dans nombre d’expressions : le péril jaune désigne encore une sorte de racisme vis à vis des populations asiatiques.

Et ceci est d’autant plus facile que l’on cherche une couleur qui marque, attire l’œil, se confond peu avec les autres. Le jaune a toutes ces .qualités : il se voit de loin et tranche sur les vêtements qui sont souvent de couleur sombre. Encore aujourd’hui un mari trompé sera caricaturé en jaune (non, le "jaune cocu" n’est pas une couleur) !

le groupe russe Gelitin avait présenté en installation à Moscou
ce dégueulit infamant, humour de potache... ici une reprise en
dessin, détail d’une grande toile exposé au MAMVP en2008
(courtoisie Gelitin) .... clic=zoom

 

> emblème de maladie :

tout le monde a une idée de ce qu’est la jaunisse, qui donne au visage une couleur parcheminée, devenu symbole de maladie du foie, mal au cœur, acidité ; il en est resté "en faire une jaunisse" : du souci, "de la bile", éprouver du dépit. La fièvre jaune n’a pas meilleure réputation, mais doit-on pour autant en "rire jaune" ?

> symbole de vieillesse ou de déclin :

les vieilles photographies deviennent jaune sépia, le papier ancien devient jaune mat et triste pendant que les peintures à l’huile des tableaux s’assombrissent et jaunissent avec le temps. Là encore l’apparition du jaune est synonyme de vieillissement et d’une décomposition liée au temps qui passe

> la mauvaise réputation :

sentir le soufre... Est-ce lié à la mauvais réputation de cette matière sortie d’une terre brûlante avec le feu, d’une odeur nauséabonde qui le faisait passer pour une manifestation du diable ? Le soufre était réputé instrument des forces de lucifer !
Quant aux moralistes, ils lui vouent une véritable haine : le jaune c’est l’or, les bijoux, les fastes, le bling-bling… tout ce qu’ils détestent : dès le début du 20è siècle la couleur or est associée à tout ce qui est vulgaire, ostentatoire

> la couleur de la victoire :

en voilà une belle réhabilitation, due au hasard ! Le maillot jaune du Tour de France est une pure opération publicitaire lancée en 1919 par le journal l’Auto (ancêtre de l’Equipe) qui était alors imprimé sur un papier jaunâtre... la couleur est restée celle du leader (mais le leader du Tour en Italie est…rose (mignon, n’est-ce pas ? Importé avec le vert par les clubs de football d’Amérique du Sud, le jaune revient en force dans les maillots, les emblèmes et les vêtements de loisir. Quant aux balles de tennis, elles ne restent jaune malgré quelques tentatives différentes pour une question de visibilité.

 

Warrior : un guerrier-enfant porté aux nues
par le groupe russe EASF
(courtoisie Passage de Retz, Paris) .... clic=zoom
 

EASF

> une utilisation économique :

le jaune Citroën est devenu la couleur de La Poste, qui dépendait de la même administration que les Eaux et Forêts. Depuis le 17è siècle, elle se distingua ainsi du vert, probablement inspirée par la Poste Suisse (très performante), dont les bus de proximité sont superbement jaunes dans leurs champs bien verts ! La grande visibilité de la couleur jaune la remet au goût du jour, à condition de garder un jaune clair et éclatant, non pas le jaune moutarde, couleur la plus détestée et unanimement désignée comme la plus laide par les occidentaux.

Gérard Fromanger

 

Vous rappelez-vous de cette icône de la littérature policière de poche : la fameuse Série Noire des éditions Gallimard dont la couverture partagée verticalement en noire et jaune en devint l’emblème ?
Gérard Fromanger (co-fondateur de la Figuration Narrative) en fit en 2002 une série d’interprêtations très forte, où des personnages anonymes se voient concernés par un drame hypothétique, où des objets ou des lieux peuvent devenir autant d’indices...

 

 

Gérard Fromanger, Le Linceul n’a pas de poches, 2002
titre d’un humour noir apprécié des connaiseurs... le personnage
concerné ne semble pas se douter de ce qui peut lui arriver
(courtoisie l’artiste) .... clic=zoom

 

 

sa fabrication :

Le jaune existe à l’état naturel dans les végétaux, les pierres et les terres, aussi bien que dans les minéraux. La couleur jaune résiste en général assez bien à la teinture et à la peinture.

> origine végétale : la fleur de Carthame, sorte de chardon du bassin méditerranéen et d’Asie, donne un colorant jaune très utilisé dans l’Egypte ancienne et en extrême Orient où il pouvait aussi teindre les vêtements.
Pour le Curcuma, plante alimentaire, c’est la racine qui donne une couleur jaune assez fugace et peu résistante.
La Gaude, sorte de réséda qui poussait de lui-même avant d’être cultivé, était utilisée pour produire un joli jaune lumineux, connue depuis le néolithique. ce n’est plus le cas aujourd’hui où elle est devenue rare ; dommage, elle résiste aussi bien en teinture qu’en peinture.
La gomme-gutte est facile à fabriquer : il suffit de broyer et diluer cette gomme qui s’écoule d’un arbre en Asie, le Garcinia Handburyi ou Garcinia Morella.
Le Safran, bien connu en cuisine, donne une teinte jaune très belle mais assez fragile, souvent mélangée. Il est connu depuis la plus haute antiquité ; cultivé au Moyen âge en Europe, il provient d’Asie mineure. Il peut être utilisé en peinture mais il est vraiment hors de prix !

> origine minérale : l’Orpiment est un pigment naturel, du trisulfure d’arsenic hyper toxique, connu et utilisé depuis l’antiquité ; heureusement maintenant on en produit artificiellement.

Les terres naturellement colorées produisent les ocres, dégradés de jaunes plus ou moins foncés ; les sables ocreux sont les plus connus et ont fait la richesse du Roussillon où ils sont encore exploités. Issus de dépôts marins ils sont constitués d’un mélange d’oxyde de fer, d’argile et de sable de quartz. L’oxyde contenu dans l’ocre est naturellement jaune (goethite) ou rouge (hématite) ; mais si vous chauffez de l’ocre jaune, il devient rouge. Utilisées depuis la préhistoire la plus reculée, les peintres du monde entier les ont utilisées. La gamme des teintes est très étendue (du brun au jaune très clair, en passant par du pourpre, le rouge et l’orangé) ; c’est une matière très résistante à la lumière et stable dans tous les mélanges.

Les terres d’ombre sont de même composition que les ocres, mais elles contiennent en plus de l’oxyde de manganèse. Si elles proviennent de Toscane c’est la couleur "Terre de Sienne" ; si elles sont calcinées elles donnent un brun plus sombre : la terre d’ombre brûlée

> origine chimique :

 

Jean-Denis Bonan

dans cette huile sur traitement numérique de Jean-Denis Bonan, le jaune donne une profondeur à l’ensemble et évite la confusion au sein de cette richesse de tons ;
Elle de Face, 2006 ... (courtoisie JDB) ... clic=zoom

le jaune de Naples est connu depuis le 2ème millénaire av. JC. ; c’est un antimoniate de plomb très toxique, dont le jaune est obtenu à partir d’un mélange d’antimoine, de potassium, de plomb et de sel, le tout chauffé jusqu’à fusion. Il est solide et couvrant mais n’aime pas être mélangé car devient instable

La Litharge est un oxyde naturel de plomb. Utilisé en chimie, le protoxyde de plomb, fondu et cristallisé en lamelles donne un jaune utilisé dans la fabrication des verres, des poteries et des peintures.

Quant au Massicot, c’est un jaune plus ou moins foncé obtenu par la calcination du blanc de plomb à feu modéré ; il est connu depuis le V° siècle av. JC.

 
L’Or mussif, encore appelé "or mosaïque", est du bisulfure d’étain d’un superbe jaune doré utilisé aussi pour bronzer les statuettes de plâtre. Il est obtenu par un mélange de sel ammoniacal, d’étain, de soufre et de mercure portés à fusion.

> toutes les fabrications et une remarquable utilisation selon les âges a voir sur le Meuble Peint

 

 

plus d’info :

 


> référence à lire :
 - les Couleurs sont des forces, Henri Matisse sources et références exposition « aux origines de l’abstraction » RMN petit journal
 - Michel Pastoureau : il était une fois les couleurs
 - Alain Rey : dictionnaire historique de la langue française

 

 

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