inside, le port-franc de Genève !Mystérieux, secret, scandaleux ? Retour à raison : un des plus grands du monde notamment pour les oeuvres d’art, le Port-Franc de Genève prend soin de remettre les esprits en place. Etude et reportage d’Almanart à l’occasion d’une visite :
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Genève n’est pas seulement agréable pour le tourisme, le chocolat, son FCH et le jet d’eau... une activité d’art intense y règne ainsi que des échanges scientifiques et commerciaux majeurs en art
reportage en 2014, mis à jour en 2022 |
> achat-ventes de particulier à particulier
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c’est une zone portuaire à l’intérieur de laquelle les marchandises transitent sans être soumises aux droits de douane, de TVA d’importation, de paiement de cautions ("franc" signifie franchise de taxe) ; cette "zone sous douane" (comprenez contrôlée par la douane) est située juridiquement "avant" la frontière douanière du pays où elle est implantée, comme si ces marchandises ne se trouvaient pas sur son territoire.
Au sein de cette zone, elles peuvent être manipulées, transformées, revendues ; les prestations d’entreposage, contrôle, restauration, analyses, etc s’y effectuent aussi en suspension de TVA
La vocation originale d’un passage en port-franc est de faciliter les manipulations de marchandises (regroupage, transbordement, réemballage) et leur gestion administrative (formalités d’exportation et douanières) dans un but de réexpédition, d’où leur implantation sur les ports maritimes et aériens ; il n’était pas prévu d’entreposage à long terme
en fait il y a deux ports-francs à Genève, car il y a aussi celui situé dans l’aéroport, plus petit et généraliste (note : la Suisse a 10 ports-francs en tout) ; on n’évoque ici que celui du quartier de la Praille ; il comprend sous législation suisse une zone hors douane et une zone sous douane libre de toutes taxes (sauf pour les résidents suisses)
Les activités du Port-Franc de Genève sont : la location de surfaces, l’entreposage (entrepôts, bureaux, chambres fortes, caves à vins, containers… et magasins adaptés à l’art) et les prestations de formalités douanières, transport, logistique et sécurité
le chiffre est peu précis bien que tous les objets doivent être répertoriés, mais il y a rotation : le Port-Franc donne 1 million "de pièces" ; Maertens [Dans le secret des Ports Francs, Connaissance des Arts 16 janvier 2013] avance le chiffre étonnant de 1.2 million pour les seules oeuvres : curieux, car s’il y a 40% de locataires en art, elles ne détiendraient qu’environ 10’000 oeuvres, ce qui est peu crédible ; en fait seule la douane connaît ce chiffre, confidentiel
le Port-franc ne donne pas de chiffre ; "la presse évoque le chiffre de 82 milliards €" note en 2014 le Contrôle fédéral des finances ; qui sait ? la douane bien sûr mais c’est aussi une grande muette !
> sécurité et sûreté : selon le CDF "les contrôles des douanes offrent une garantie de sérieux et minimisent le risque de trafic illicite de marchandises ; c’est même devenu un argument de vente" ;
> la discretion : il n’y a pas d’affichage des locataires, qui ne sont pas censés se connaître ; les magasins se ressemblent tous et n’ont qu’un numéro distinctif ; à l’intérieur, les locataires peuvent organiser des showrooms pour monstration et transaction ; mais une oeuvre peut être transférée physiquement d’un magasin à un autre et le locataire d’un local n’est pas nécessairement le propriétaire des oeuvres [CDF]
Note : l’importation temporaire est normalement limitée à 2 ans ; elle nécessite de bloquer sur un compte l’équivalent de la TVA (ce que fait le transitaire) et le paiement du transitaire (1% par trimestre) auprès de l’administration suisse
le port attire un ensemble de compétences et services : outre sur la fiscalité (les formalités d’import-export sont complexes car la Suisse n’est pas dans l’UE), expertise, restauration d’œuvres, estimation, manipulation et déménagements… Seuls services implantés à l’intérieur : sécurité, douanes et deux sociétés d’analyse, les autres compétences viennent du monde entier : le port-franc est un pôle économique
Ainsi le Port-Franc de Genève constitue un milieu favorable aux affaires, situé au sein du milieu suisse caractérisé par la discretion, l’efficacité et la stabilité juridique, politique et administrative ; c’est ce système global qui est apprécié. A priori les ports-francs asiatiques en développement ne présentent pas le même niveau de garantie et de respect des lois internationales
on reproche au Port-Franc de Genève de trop développer les activités de stockage à long terme, d’être devenu "la caverne d’Ali Baba de la Suisse" [Tribune de Genève en ligne, 15 avr. 2014] :
> lundi 14 avril 2014 le CDF (Contrôle Fédéral Des Finances) publie un rapport soulignant "les risques d’abus fiscaux et de contournement des embargos", éléments que reprend LeMonde.fr [21.04.2014, Roxana Azimi] : le port-franc "a une fonction de gestion de fortune et d’optimisation fiscale pour des marchandises de haute valeur, ceci ne correspond pas à la fonction première des entrepôts douaniers, ni à l’esprit de la loi"
> "on ne peut pas ignorer que certaines personnes utilisent ces espaces pour éviter de payer leurs impôts" note à Swissinfo Eric-Serge Jeannet, Vice-directeur au CDF |
Les Echos 23/06/14 sur ArtBasel : "pourquoi Bâle conserve-t-elle sa suprématie sur les autres foires mondiales ? la proximité du gigantesque port-franc de Genève y est pour beaucoup !" |
> RTS Info, déjà le 16.09.2012 : "les biens qui sont déposés sont hors d’atteinte des Etats étrangers ; les données d’inventaire ne sont pas transmises à des autorités étrangères"
> LaTribune.ch confirmait le 19.05.2014 : "faute de contrôles efficaces, les entrepôts peuvent être utilisés pour l’optimisation fiscale, revendiquer le remboursement de la TVA ou une aide à l’exportation pour des marchandises qui n’ont pas quitté le territoire suisse ; le CDF s’inquiète que plusieurs entrepôts stockent parfois des biens pendant plusieurs dizaines d’années.
maquette du port du Luxembourg |
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des services de haut niveau sont implantés au sein du Port-Franc de Genève, notamment quelques galeries et deux laboratoires d’analyse, en zones sous ou hors douanes ; lors de notre visite nous y avons notamment rencontré ces quatre opérateurs (voir aussi les galeries du Quartier de l’Etoile à Genève) :
opérateur du second marché haut de gamme des plus connus de Genève, le Studio Simon Studer jouit d’une réputation d’expertise et de probité notamment dans l’art moderne ; pour l’art actuel il collabore avec la galerie voisine (ci-après).
Ses services sont le conseil en art, le courtage en achat et vente, la recherche et la certification, la gestion de collection ; il a réuni une des plus importantes bibliothèques d’art de Genève
Simon Studer, au centre |
égaillant l’austère entrée du Studio : |
> il a choisi d’être implanté dans la zone hors douane du port-franc pour des raisons pratiques et logistiques, dans un confortable local qu’il a totalement aménagé dans un espace vide non viabilisé mais accessible en toute sécurité depuis les couloirs banalisés
installée juste à côté, cette jeune galeriste mutlilingues est centrée sur l’art actuel et la promotion de jeunes artistes, comme le lausannois Stéphane Kopf > en relation étroite avec le Studio Studer, le Studio Sandra Recio a naturellement occupé ce lieu Sandra Recio en exposé ; |
le GFAA est spécialisé dans l’étude scientifique d’oeuvres d’art.
fondé par Jean Penicaut et Pascal Cotte (expert) en 2012, le LTMI élabore des scans multispectraux de tableaux ; il propose un check-up d’oeuvres pour les experts et historiens de l’art et les collectionneurs, fondé sur la technologie LT de Paris, qui a analysé Mona Lisa).
mise en place d’une analyse multispectrale |
l’examen Xray et Infrarouge de la couche picturale permet de découper la matière en 1500 couches sur un spectre de 13 longueurs d’ondes, avec une définition moyenne 800 pixels au mm2. L’imagerie infrarouge révèle ce qui est sous la couche de peinture, et l’infrarouge multispectral prend des images à différentes profondeurs de la couche picturale ; elle permet aussi de simuler les couleurs d’origine d’une oeuvre ancienne.
dès 2008 l’Europe a commencé à lutter efficacement contre le secret bancaire et le détournement fiscal ; même la Suisse a dû baisser (lentement...) ses barrières opaques qui l’auront si bien enrichie. Mais l’effet fut pervers : les ports-francs d’Europe sont devenus les refuges légaux des grandes fortunes qui les ont placées dans l’art, ce qui explique en partie l’extraordinaire inflation des prix... [Marie Amelie Baudry : "La lutte contre le blanchiment d’argent au sein du marché de l’art" 2021]
en 2016 suite aux ennuis judiciaires du patron de Natural-le-Coultre et de sa filiale Fine Art, vient un renforcement européen de la lutte contre les refuges fiscaux et la loi sur le blanchiment ; cela n’aide pas les affaires du Port Franc de Genève, mais irait tout de même dans le bon sens, selon son Président David Hiler !
en 2018 le Parlement européen harmonise les pratiques de surveillance des États membres ; dès 2020 en France : les professionnels de l’art sont tenus à des obligations de vérification pour toute vente d’art dès 10.000€, sauf pour le mobilier (ce qui explique en partie l’inflation des prix du design, nouveau terrain de jeu spéculatif...). Bien difficile à vérifier, et quasi-impossible au sein des ports-francs, en effet :
la loi impose bien aux locataires de dévoiler les noms de leurs sous-locataires, mais elle n’exige pas de ces derniers qu’ils communiquent le nom du propriétaire bénéficiaire... Bon, c’est tout-de-même le signe que la transparence s’améliore, la surveillance s’accroît avec la mise en place d’un système biométrique d’identification et traçage des visiteurs au sein de la zone franche ; des vérifications seront faites du trafic illégal d’antiquités ; les sociétés écrans sont en principe refusées.
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les ports-francs sont devenus pour l’art un outil indispensable aussi bien sur le plan artistique que commercial et financier, pour la conservation, l’expertise, la certification, la restauration, la monstration, le commerce des oeuvres d’art et antiquités ; outil qui n’a pas de solution de substitution (hormis les grands musées et fondations pour une part). Les ports-francs ont une importance économique régionale, par la synergie des compétences et prestations qu’ils induisent.
La clarification de leurs activités débouche sur deux types : les ports-francs relativement bien contrôlés, dont celui de Genève, et les relativement mafieux.
En Europe leur bon fonctionnement est d’autant plus indispensable que l’Asie en développe plusieurs, pour le moment dédiés à l’art asiatique, mais qui à terme peuvent devenir de rudes concurrents pas forcément correctement régulés ; ceci sans parler -encore- des effets du Brexit sur la (bonne) conduite des affaires d’art.
Et en France ? l’utilisation de ports-francs pour stocker durablement de telles valeurs n’est pas à l’ordre du jour, tant le pays apparaît à l’étranger instable, complexe, entaché d’une stigmatisation idéologique de la richesse qui en chasse les acteurs…
infos |
> le Port-Franc de Genève |
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